Wind into the Roots
Écrit par Pierre Bongiovanni, commissaire d’exposition
Choisies parmi des milliers, les photographies réunies ici présentent différents aspects du cortège des arbres qui accompagne Muriel Pénicaud dans ses explorations forestières à la recherche des mille facettes de l’humaine nature et de la résonance primordiale du vivant.
La forêt est peut-être le dernier endroit évoquant sans retenue les strates du destin de l’espèce humaine et nous appelant à un ultime sursaut. La photographe ne prête pas aux arbres des sentiments humains.
Comme toujours dans son travail d’artiste, elle privilégie l’enchantement et l’incrédulité, voire la stupéfaction ressentie dans sa relation avec les arbres, qui lui permet d’accéder à une dimension profonde de ce que nous sommes et de comment nous allons, au sens propre comme au sens figuré.
Elle assume une forme osée de transcendance forestière qui ouvre les portes des souvenirs enfouis dans les sous-bois sombres et intrigants des enfances, des légendes et des domesticités contrariées. En les regardant, elle nous invite à comprendre ce qui, dans nos existences, contribue à soutenir le monde comme ce qui concourt à le détruire.
On y rencontre les accolades monstrueuses, les entrelacements vertigineux, les cavalcades végétales, les débauches et les transes inattendues. Mais aussi les élégances et les fulgurances qui côtoient les gouffres et leurs tourments.
On se souvient alors que l’un des résultats désastreux du pacte entre le roi Gilgamesh et la créature Inkidou (mi animale, mi divine) fut le meurtre du géant Hombaba, seigneur de la grande forêt des Cèdres. Depuis, les vanités humaines n’en finissent plus d’abattre les forêts dans uneépiphanie tremblante, de celle qui précèdent les apocalypses, commeil y en a eu tant dans les longs millénaires de notre histoire. Les humains courent à leur perte en oubliant la co-évolution vitale entre eux et les arbres depuis des centaines de milliers d’années.
Les arbres qu’elle cherche, pour les photographier, sont sans doute des intermédiaires entre deux mondes, celui des passions ondoyantes et celui des éternités fragiles. Leur puissance tellurique est telle qu’elle nous oblige à chaque pas à réviser nos critères de pensée pour tenter de rester à la hauteur de leur immobilité apparente et de leur patience insensée.
L’eau, la terre et l’air s’y marient mystérieusement. Et ce qui nous alerte ici, c’est de quelle manière elle interrogenotre humanité en passant par les arbres. Elle ne photographie pas les arbres. Les arbres lui «parlent» de nous. Et cet échange, via son regard, entre eux et nous, nous invite à davantage d’humanité.
Voici les Hêtres noueux, héritiers d’un destin chaotique et mystérieux, prostrés, buissonnants, au tronc court qui se moquent de leurs frères hêtres communs perçus comme dominateurs, parfois tyranniques (rien ne pousse sous leurs frondaisons), à l’élégance hautaine et qui faisaient les beaux jours des sabotiers et des fabricants de pâte à papier).
Voici le Charme commun, partout chez lui, sous tous les soleils et à l’aise avec tous les sols, dont le bois magnifique permit les essieux, les moyeux, les dents d’engrenage des moulins, les vis de pressoir, les masses, les maillets, les robustes manches d’outil comme les plus solides tables à découper des bouchers.
Et puis ce Merisier, cerisier sauvage avec son écorce en lanières circulaires satinée dont le fruit sont disputés entre les enfants, les merles et les étourneaux. Les Anciens en recommandaient l’usage pour soigner l’apoplexie, l’épilepsie et pour élaborer le fameux Kir de Clairegoutte en haute Saône.
Et le Chêne à l’écorce salvatrice, confident des dieux, trait d’union entre le ciel et
les grands fonds. Les prêtres déchiffraient les voix qui passent dans ses feuilles. Il permit la construction des navires en partance pour les Amériques, mais également des cathédrales, des fûts dans lesquels sommeillent les grands vins... Arbre fondamental qui dote la société d’une inépuisable réserve d’âme.
Et ce Bouleau magnifique, au tronc couleur de lait, appelé le puits du peuple par les russes car il donne le chauffage en hiver, la lumière par son écorce roulée en torche et la guérison par la sève. Les forêts de bouleaux, refuges naturels des loups, des lynx, des ours, et des amoureux qui gravent leur noms dans son écorce tendre.